Bienvenue à Petit Popo
Je vous amène en voyage avec moi à Petit Popo. Non, je ne vous amène pas une énième fois à Aného, à une petite cinquantaine de kilomètres à l’est de Lomé. Je vous amène à Petit Popo. Un saut dans le temps et dans l’espace, 134 ans en arrière. Suivez-moi dans les ruelles serrées de la petite bourgade qui se tient vaillamment entre l’Océan Atlantique et la lagune qui conclue magnifiquement le lac Avon. En partant de Bey Beach aux premières lueurs, nous devrions pouvoir atteindre Petit Popo au soleil couchant.
Entrons en ville, c’est jour de marché. Les effluves d’huile de noix de palmiste persistent dans l’air du soir alors que les revendeuses d’Ela rangent leurs étales à la hâte. On se croise, s’interpelle, s’invective pour accélérer la cadence. Le commerce est prospère dans cette ville depuis des dizaines d’années, attisant les convoitises et aiguisant les appétits. Des hommes torse nu poussent devant eux les dernières tonnelles d’huile de palme et se dirigent résolument vers la factorerie de Brême tout près de la plage. D’autres aident leurs épouses à remonter leur marchandise invendue sur les pirogues taillées dans des trons d’arbre. Ils viennent des villages environnant pour participer à la grand messe commerciale de Petit Popo. A Badji, les jeunes éleveurs se hâtent de faire rentrer dans les petits enclos brebis et cochons avant que les crocodiles de la lagune ne s’intéressent de trop près à cette viande tendre à portée de mâchoire. Surplombant la presqu’île, New London ou Lolan. On y voit descendre cérémonieusement, curiosité sous les tropiques, le drapeau britannique de son mât.
Plus loin, les nobles de Fantekomé et de Nlessi paradent devant leur concession au style européen revendiqué. Enveloppés dans leurs toges et chaussés de leurs sandales riches, ils sont affublés de bonnets blancs à franges qu’ils arborent fièrement le menton plus haut que les épaules. Certains portent même des bottes. Coquetterie ultime de leur habitat fraîchement sortis de terre dans le voisinage des factoreries européennes, une véranda où ils se reçoivent les uns et les autres pour palabrer à n’en plus finir sur les tensions qui secouent la petite ville depuis quelques mois maintenant.
En effet, Petit Popo n’est pas sereine. La communauté est parcourue par des soubresauts autour du commerce avec les Européens. Et celui qui cristallise tous les ressentiments n’est autre que William Thomas George Lawson. Dans les rues sombres de Petit Popo sur laquelle une nuit sans étoile vient de tomber, il court le bruit que quelque chose de grave se prépare. Chacun affûte ses armes, compte ses soutiens. Une partie de cartes se joue à Petit Popo. Dans une ambiance feutrée empreinte de bonnes manières, des intérêts devenus inconciliables s’affrontent.
Le petit port, dépendance depuis un siècle et demi du royaume à l’autorité déclinante de Glidji s’est transformé en poudrière. L’administration coloniale de la Gold Coast dont la frontière se rapproche dangereusement depuis la décennie précédente et les commerçants français qui ont l’oreille attentive de Paris sont à la manœuvre. Les protagonistes œuvrent dans l’ombre et manipulent à souhait les « Aputagan » de Petit Popo. William Lawson, seul face à ses cousins germains Pedro Quadjo da Silveira et Kuadjovi Djiyehoué va plonger la petite cité dans le chaos. Ils n’ont alors aucunement conscience de ce qui se joue là sur la plage de leurs ancêtres.
La saison des petites pluies vient de commencer. Des Togolais qui ne s’appellent même pas encore ainsi, vont jouer aux cartes le destin d’une nation qui n’existe pas encore telle que nous la connaissons aujourd’hui. Nous sommes à la fin de l’année 1883. Ils pensent que la partie ne fait que commencer. En réalité, elle est sur le point de se terminer. Prenez place à la table de ce jeu absolument déroutant et voyez l’histoire du Togo se dérouler devant vos yeux.
Bienvenue à Petit Popo. Rien ne va plus.