Les Vérités de Djiyéhoué
Dans le reconquête du pouvoir politique et économique de William Lawson fin 1883, un point d’orgue est atteint le 19 novembre 1883 lorsqu’il s’attaque de façon détournée à la prétention à collecter les taxes sur les marchandises importées par les factoreries européennes dévolue jusqu’alors Kuadjovi Djiyehoue.
"Par la présente, je vous informe au nom du Roi, sous la direction de qui j'écris, que nous acceptons votre déclaration tacite que toute négociation ou tout arrangement à l'amiable entre nous sont terminés depuis hier." W. Lawson Cliquez pour tweeterIl faut attendre 4 jours pour que la réponse de la partie adverse tombe. Sec, laconique, Djiyehoué n’en démord pas, il répond de façon tout aussi détournée, pas à son adversaire mais aux commerçants européens. La circulaire émane de Pedro Da Costa, vraisemblablement secrétaire particulier du Kuadjovi Djiyehoué: « J’ai l’honneur de vous notifier que vous, les commerçants qui êtes sous son autorité [à Kuadjovi Djiyéhoué, ndlr], ne devez payer aucune taxe au roi anglais, excepté ordre ultérieur ».
La rupture est donc consommée. Réponse de W. Lawson dès le lendemain 24 novembre : « Par la présente, je vous informe au nom du Roi, sous la direction de qui j’écris, que nous acceptons votre déclaration tacite que toute négociation ou tout arrangement à l’amiable entre nous sont terminés depuis hier. »
Une nouvelle fois l’histoire va être terriblement déformée pour conforter le récit que W. Lawson veut vendre aux Britanniques : » Le Roi désire que je vous rappelle que vous n’êtes que le yovoga -sic-de cette maison et de ce pays désigné par mon grand-père, et rien de plus ». En cherchant à le descendre de son piédestal avec cette formulation, l’intention d’insulter est manifeste. Ce qu’elle cache, en effet c’est qu’avant de devenir aputaga, Djiyehoué a exercé une fonction plus subalterne auprès du roi Kponton d’Agoué, celle de récadère (porteur de canne dans les royaumes de la côte du Dahomey) et Tetteh Agamazon n’est pas sans le savoir.
La mission de bons offices que se propose de mener le roi John Mensah d’Agbodrafo, cousin des Lawson, mais aussi signataire de l’appel d’août 1881 à la France à leur insu, est un échec cuisant. Il s’allie à cette occasion les services de médiateur de Julian de Souza. W. Lawson le remet gentiment à sa place. Il prend soin de clarifier la revendication des Akagban : »Je vous saurai gré de faire comprendre à M. Julian que je veux obtenir de Pedro Quadjoe les papiers sur les loyers et sur les taxes de la firme française [sans doute Cyprien-et-Fabre-et-Cie] et de la maison Eccarius, pas seulement les papiers sur les taxes. » C’est ce qui s’appelle frapper au portefeuille. En effet, les loyers et taxes étaient payés par les firmes européennes sur présentation de ces documents à leur détenteur. La puissance financière avec laquelle Pedro da Silveira cherche à renverser les équilibres à Aného vient en grande partie de là. Et l’épisode auquel fait référence W. Lawson quand il insiste en disant “Les terrains n’appartiennent à Pedro Quadjo, ni à Chico [d’Almeida] mais à mon grand-père” est, par ailleurs, aussi connu.
"Je vous saurai gré de faire comprendre à M. Julian que je veux obtenir de Pedro Quadjoe les papiers sur les loyers et sur les taxes de la firme française et de la maison Eccarius, pas seulement les papiers sur les taxes." Cliquez pour tweeterA la fin des années 1850, quand la guerre civile a fait irruption à Agoué, de l’autre côté de la frontière actuelle entre le Togo et le Bénin, Pedro Quadjoe, engagé dans un conflit avec l’autre esclavagiste de renom d’Agoué, Zoki d’Almeida, a tout perdu. Sa mère, Sassi Ahéba était une cousine germaine des Lawson, descendante de Tchotcho, qui elle-même était la sœur d’Adakou, la mère de Latévi Awokou. C’est grâce à cette connexion que Pedro da Silveira va se voir remettre les documents par George Akouété Zankli, lui permettant de collecter les taxes et loyers pour se refaire une santé financière.
W. Lawson conclue quant à lui sévèrement sa réponse à celui qu’il appelle pourtant affectueusement “Mon cher oncle” ainsi: “Si M. Julian pense qu’il ne pourra pas obtenir les papiers des loyers de Pedro Quadjoe et de Chico [d’Almeida] qu’il ne se soucie plus de cette affaire.” En effet, le régent sait de quoi il parle : il a un plan pour régler définitivement la question. Et il le mettra à exécution dans une manœuvre qui marquera les esprits dès le lendemain.
Mais avant d’aborder cet épisode, et pendant que les palabres sont en cours à Petit Popo, sentant sans doute qu’il va devenir la prochaine cible privilégiée des appetits des Lawson, Kuadjovi Djiyehoué lance un appel à la seule personne ayant encore un semblant d’autorité sur le chef de la famille, le gouverneur Samuel Rowe.
Dans un courrier du 2 décembre 1883, on apprend pour la première fois dans les riches archives britanniques la version du clan adjigo. Mais il s’agit aussi d’un véritable cours sur l’ histoire récente du royaume de Glidji et de sa dépendance, Aného.
Djiyehoué y refait l’historique de son accession au statut de cabécère au tournant des années 1860 sur décision du roi de Glidji Foli Aloffa. Il précise que GA Lawson a été fait Field Marshall et non roi par Ekoué Sowou, le prédécesseur du roi Aloffa. Il décrit la répartition faite entre les deux camps : à Djiyéhoué les taxes sur les marchandises exportées par les marchands européens et à Lawson Ier, les loyers des factoreries.
Il raconte également la façon consensuelle dont les relations ont débuté quelques mois plus tôt entre W. Lawson et lui-même, le régent sollicitant l’appui de son aîné pour faire désigner un successeur à son grand-père. On y apprend que Djiyéhoué et les anciens de la ville avaient désigné un candidat avant que le bouillonnant géomètre ne balaie du revers de la main ce futur monarque soutenu par les Adjigo pour imposer son cousin Daniel.
Suit une tentative de réforme fiscale du régent visant à annuler les taxes à l’exportation et à les remplacer par les taxes sur les marchandises importées au motif que cela rapporterait bien plus d’argent. Et cela est tout à fait en ligne avec la politique pratiquée par les Britanniques en Gold Coast, à quelques encablures de là et qui cristallise toutes les peurs de marchands locaux et européens. En second lieu, Djiyehoué note un renversement de la vérité historique où W. Lawson tente de faire croire que l’autorité tutélaire de la région se trouve à Lolanmé alors qu’elle n’a jamais quitté Glidji.
Pour conclure, le cabécère adjigo relève la manière injurieuse avec laquelle W. Lawson lui a répondu et sollicite l’intervention du gouverneur pour éviter une issue violente.
“Vous pouvez être assuré que toute l’influence que je puis avoir à Petit Popo s’exercera en vue de maintenir la loi et l’ordre, et les justes intérêts des dirigeants légitimes du pays” Samuel Rowe. Cliquez pour tweeterSamuel Rowe se borne à répondre en des termes empreints d’une neutralité toute diplomatique. Il conclut tout de même sur une phrase énigmatique qui aurait dû faire réfléchir le vieil homme: “Vous pouvez être assuré que toute l’influence que je puis avoir à Petit Popo s’exercera en vue de maintenir la loi et l’ordre, et les justes intérêts des dirigeants légitimes du pays”… Par conséquent, les Lawson selon son point de vue. En vérité, cette influence s’est même déjà exercée: la réponse de Rowe datée du 15 décembre 1883 n’est pas parvenue encore à Aného que le pouvoir semble avoir définitivement changé de main.
L’avant-veille, William dans un mélange de géniale malice et d’opportunisme, a en effet récupéré son dû par la force.