De cœur et de sang
L’histoire que nous allons raconter aujourd’hui parle de guerres, de sang, de sang mêlé, de polémique. Nous allons remonter au 17ème siècle, autour de la ville actuelle d’Accra. C’est là que sont installés depuis des temps immémoriaux les ancêtres des Guins. C’est le débouché des routes commerciales depuis le pays ashanti.
Cette position stratégique enviée causera la perte des Ga battus vers 1680 par leurs rivaux locaux, les Akwamu. Cette bérézina donnera véritablement naissance au peuple guin à l’origine de la fondation de Glidji.
Au cours du dernier quart du 17ème siècle, Okai-Koi ou Okai-Kwei régnait sur les Gâ. Sa tyrannie lui a valu la désaffection de son peuple au point que ce dernier répond par l’affirmative lorsqu’il ose les interroger : « Voulez-vous que je mette fin à mes jours ? ». Il restera dans l’histoire comme celui qui a signé le contrat qui cède aux Danois le terrain sur lequel est construit le fort de Christiansborg que nous avons vu précédemment.
Okai-Kwei dont l’altération du nom donne le prénom Kankoe très répandu en milieu guin, a été trahi par ses généraux qui font secrètement alliance avec leurs ennemis Akwamu pour que le roi soit battu et disgracié. En 1677, après la bataille d’Atrabi perdue, Okai-Kwei se suicide en maudissant son peuple. La situation explosive poussera une des sœurs de roi à s’enfuir avec deux des princes du royaume, Foli Bebe et Foli Hemadzro ainsi que les attributs royaux pour émigrer par voie maritime vers les côtes devenues aujourd’hui togolaises. Ils débarquent après des jours de navigation près de Gumukopé. Foli Bebe, en réalité Ofori Bembeneen, fonde la ville de Glidji dans sa remontée vers l’intérieur des terres alors que son frère, plus mystique trouve refuge à Zowla.
A Accra, la guerre n’est pas finie. Ashamgo (Assiongbon), frère aîné du défunt Kankoe prend la tête de la résistance gâ face à l’envahisseur, mais ne put rien contre l’avancée inexorable des Akwamu. En désespoir de cause, à la tête de son peuple il prend à son tour la route de Glidji et s’allie les Anlo dans leur exode.
A partir de Glidji, les Gâ vont essaimer dans toute la région sud-est du Togo actuel fondant et conquérant sur leur passage diverses localités comme Anfoin, Zalivé, Djankassé, Aklakou etc.
Entre alors en scène le fils de Foli Bebe, chef militaire exceptionnel, Assiongbon Dandje. Ce dernier, suite au rapt de sa sœur Ayifo par des soldats d’Abomey, se décide à s’engager parmi les troupes d’Agadja-Dossou, roi du Dahomey qui finit par épouser la captive et devenir son beau-frère. Multipliant les conquêtes victorieuses, le roi en vient à prendre ombrage du succès grandissant de son général auprès de son peuple. Assiongbon Dandje sent le vent tourner et prend la fuite, poursuivi par les troupes fon lancées à ses trousses. Il regagnera Glidji où il succède à son père décédé avant son retour.
Portons maintenant notre regard plus au Sud, vers Aného, le nœud de l’affaire qui nous intéresse. Cette ville tire son origine d’un lieu appelé « Plaviho ». Kwam Dessou, fondateur du lignage des Adjigo est alors chef d’équipage sur un des navires négriers. Il se lie d’une amitié profonde avec Foli Bebe de son vivant et développe des relations commerciales prospères avec lui. Mais sa carrière de marin est stoppée net par une affaire d’homicide dont il est accusé et reconnu coupable dans son pays d’origine près de Cape Coast à l’ouest d’Accra. Comme les Gâ quelques années auparavant, il prend la fuite. Foli Bebe cautionne son ami et l’aide à trouver un point de chute en recommandant au roi d’Agbanakin de lui offrir un refuge sur le site actuel d’Aného. Ce furent les débuts de la ville dont le nom signifie littéralement « les huttes de Ane » (nom désignant les gens venus d’Elmina, Cape Coast). Les femmes de Glidji ont donné ce nom à cet emplacement à cause de leurs clients qui s’y sont installés. D’ailleurs la distinction entre Mina et Guin vient de là. Les Mina qui ont reçu leur nom des négriers portugais, sont établis sur la côte et sont originaires d’Elmina (Cape Coast) tandis que les Guins sont les descendants des migrants venus de la région d’Accra à la fin du 17ème siècle. La proximité linguistique, les liens matrimoniaux entre ces deux populations ont rendu aujourd’hui toute distinction quasi-inopérante.
Grâce à sa relation privilégiée avec le roi de Glidji, Kwam Dessou reçoit le titre de Chef de Plage chargé de percevoir les taxes sur le commerce avec les navires européens.
Plus tard seulement, vient s’installer à Glidji auprès d’Assiongbon Dandje un chasseur du nom d’Assiadu, accompagné de son fils prénommé Bewu. Lorsque ce dernier atteint la majorité, son père demande au roi la main d’une de ses filles pour qu’il en fasse sa femme. Le nom de la princesse est Adakou. C’est de leur union que va naître Latévi Awokou ou Ayeku, l’ancêtre de la grande famille Lawson du Togo.
Selon la tradition de la famille Lawson, lorsque le capitaine anglais nommé Law demanda à Assiongbon Dandje un de ses fils à former au rôle d’interprète, voulant éviter de mécontenter ses épouses (l’enfant choisi serait de fait écarté de la succession au trône puisque la probabilité qu’il revienne s’établir dans son pays était faible), le roi requit Bewu son beau-fils de donner son fils Latévi Awokou. Mais contrairement à ce qu’affirment les Lawson, ce dernier ne mit jamais pied en Angleterre. Il parlait néanmoins couramment anglais, portugais et danois.
Une des origines des griefs des gens de Glidji contre les Lawson tient en ceci qu’au moment de l’embarquement de Latévi Awokou sur le navire anglais, son grand-père Assiongbon Dandje aurait confié au capitaine Law une cargaison d’esclaves et de diverses marchandises et charge était à Latévi de lui rapporter le produit de la vente. Au retour de celui-ci, le roi est mort et son héritier désigné également. La légende de Glidji raconte que Latévi garda le butin après avoir toutefois offert des funérailles dignes de ce nom au roi disparu.
Revenu s’installer définitivement au pays, Latévi Awokou réside à Fantékomé, un des quartiers d’Aného et alors que les échanges avec les Anglais s’intensifient, il accède à son tour au grade de Chef de Plage. Les gens de Glidji insistent (et nous comprendrons bientôt pourquoi) sur le fait que Latévi Awokou a demandé alors la permission de s’installer sur une portion côtière marécageuse (Badji ou Babadji en mina) connu sous le nom de Lolamé, « les caïmans mangent les hommes ». Le palais des Lawson trône encore aujourd’hui à cet endroit, débouché sur la mer du lac Togo.
Nous aurons retracé dans ce récit les origines trois grands protagonistes qui sont en place à Petit Popo (Aného) à la fin du 19ème siècle lorsque vont démarrer les grandes manœuvres qui conduiront à la naissance du Togo allemand à l’été 1884. Ce sont les Tugban, la famille royale de Glidji au centre du jeu de pouvoir, les Adjigo liés aux Tugban par le cœur du fait de l’amitié entre Foli Bebe et Kwam Dessou leur aïeul, et enfin les Akagban, représentés par la famille Lawson, liés aux Tugban par le sang du fait du mariage de Bewu avec Adakou la petite fille de Foli Bebe et qui grâce à la prospérité de leur commerce et leurs liens privilégiés avec les Anglais tentent de prendre le pouvoir sur la côte.
Les deux alliés adjigo et akagban ont accédé au poste de chef de plage. Le rayonnement de Glidji est sur son déclin en cette fin de siècle. C’est le moment pour les intrigants d’entrer en scène. Et pendant que nous parlons encore, un homme est en route vers la plage d’Aného. Il est bourré d’ambition et il a une mission claire reçue secrètement d’Accra. Nous sommes le 25 Août 1883, le petit navire à vapeur est resté au large. Alors que les Krou rament à pleine puissance pour franchir la redoutable barre du Golfe de Guinée, le soleil se lève. Ce jour nouveau encore timide cache mal l’électricité qu’il y a dans l’air.
Lui, c’est l’homme qui va donner un trône aux Lawson. Il est de retour sur la terre de ses pères.
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