Un Lawson revendique le trône d’Aného
L’adage dit :“jamais deux sans trois”. Et confrontée à un effritement sans précédent de sa mainmise politique et économique sur Aného, la famille Lawson n’aurait eu besoin que d’une deuxième fois. Une deuxième intervention britannique comme à l’orée des années 1860 aurait suffit à leur bonheur.
Au gré des hasards des migrations et de l’histoire, si un Williams sierra-léonais est cité parmi les éminents notables de la jeune ville de Lomé née il y a quelques mois, c’est de sa Freetown qu’un Lawson entreprend de contrecarrer les plans des Français alliés à Pedro Landjekpo da Silveira.
C’est sous la plume fine de Thomas George Lawson, interprète officiel pour l’administration britannique en Sierra Leone que nous allons dérouler le fil noueux de la revendication de la puissante famille akagban d’Aného.
Dans un courrier adressé à Samuel Rowe daté du 3 octobre 1881, il détaille l’affaire que nous avons exposée dans l’article précédent et apporte un éclairage inédit. C’est lui, le chef de la famille Lawson depuis le décès de son frère aîné Laté Atchromitan en 1868, lui-même ayant succédé Georges Akouetey Lawson (décédé en Juin 1857), leur père anglicisé et fils de Latévi Awokou. Et l’élément nouveau qu’apporte ce courrier c’est qu’en avril 1861, Les Lawson avaient offert, dit-il le protectorat d’Aného aux Britanniques dans le contexte d’un conflit armé qui les opposait déjà alors à Pedro da Silveira. Si le gouvernement britannique à l’époque a dédaigné l’offre, il a néanmoins consenti à envoyer le HMS Rattlesnake intimider les belligérants sans mettre fin au conflit. C’est finalement l’intervention du HMS Philomel début 1864 qui permettra aux Akagban d’avoir le dessus.
“Je souhaite donc, à ce sujet, vous faire savoir, pour l’information de votre Gouvernement, que Pedro Cudjoe n’a ni le droit, ni le pouvoir de faire cela (ndlr, se proclamer “roi” ni essayer de transférer la souveraineté du pays à la… Cliquez pour tweeterMais avant d’écrire au gouverneur britannique, Thomas Lawson a pris soin d’envoyer un véritable brûlot deux jours plus tôt au vice-consul Bareste, justement établi aussi à Freetown. En point d’orgue, une affirmation détournée de la légitimité de ses prétentions sur Petit Popo : “Je souhaite donc, à ce sujet, vous faire savoir, pour l’information de votre Gouvernement, que Pedro Cudjoe n’a ni le droit, ni le pouvoir de faire cela (ndlr, se proclamer “roi” ni essayer de transférer la souveraineté du pays à la France), et l’on doit considérer tout document signé par lui comme dépourvu de toute validité.” Voilà qui est dit.
Victor Bareste ne va pas se laisser démonter par la morgue de l’interprète. Il va se livrer dans sa réponse à un exercice d’équilibrisme politico-linguistique dont seuls les diplomates ont le secret. L’argument mis en exergue c’est que le 1er Janvier 1878, dans un document offrant la protection des notables de la ville d’Aného à la factorerie MM Cyprien-Fabre-et-Cie, le roi serait un certain Ageé (ou Ayi ?). Et ce n’est pas la dernière graphie approximative. Le vice-consul semble avoir pris le parti d’entretenir une confusion qui doit bénéficier au dossier français. En effet, il continue “Parmi les ministres de Degbenou, je vois la signature de Acate -peut être pour Aquatay (Akoueté)- ainsi que, parmi les représentants du peuple, Latte Cudrio (Laté Cudrio) et, parmi les princes et ministres de Petit Popo, Boevidragui, qui correspond peut-être à Latty Lawson, et à Boyvee ou Georges A. Lawson. Je n’ai aucune certitude: ce ne sont là que des suppositions” – bien entendu…
L’argument mis en exergue c’est que le 1er Janvier 1878, dans un document offrant la protection des notables de la ville d’Aného à la factorerie MM Cyprien-Fabre-et-Cie, le roi serait un certain Ageé (ou Ayi ?). Cliquez pour tweeterPour tout comprendre, il faut savoir qu’au décès de Laté Atchromitan en 1868, Thomas Georges Lawson son cadet étant hors du pays, c’est son jeune frère Alexandre Boèvi qui a succédé au défunt. Et Boèvi est décédé quelques mois plus tôt, le 19 mai 1881. En essayant d’installer l’idée que des Lawson ont signé un document où quelqu’un d’autre est désigné comme roi, le diplomate met en échec les prétentions de l’interprète. Et pour enfoncer le clou, Bareste va mettre le doigt sur le sujet qui entretient toute la confusion à Aného: oui il connaît Pedro da Silveira, décrit comme étant d’ascendance portugaise. En vérité il n’en est rien, c’était l’associé d’un esclavagiste de la région Bahia au Nord du Brésil. Il aurait pris le nom de ce Brésilien une fois revenu s’établir à Aného (les Lawson diront avec la permission de leurs pères), un peu comme James Kwamenah Bruce ou le chef Anthony plus à l’ouest. Et oui, d’après Bareste toujours, da Silveira aurait à Aného une autorité suffisante pour contrebalancer celle du roi de Glidji lui-même. Souvenez-vous, c’est celui qui a les ressources pour acheter les armes qui détient le pouvoir dans ce milieu.
Si le diplomate français prend soin d’assurer à son destinataire qu’il a bien compris qu’au vu du contexte d’une autorité diffuse et fragmentée entre les différentes parties, la signature de Pedro da Silveira seule ne suffit pas comme base légale au protectorat, il enfonce sa dague : “Quant à votre offre du pays de Petit Popo au Gouvernement de la Grande-Bretagne, permettez-moi de vous dire que, le roi Aneé (Ageé, ou Ayi ? décidément…) étant là, je ne pense pas que votre droit soit suffisant pour vous y autoriser.” Échec et mat.
Contrairement aux Britanniques qui bâtissent leur stratégie sur la légitimité friable des Lawson, les Français tiennent un argument plus solide et plus réaliste. La famille Akagban ne dispose pas de l’autorité sur Aného, c’est Glidji et son roi Awussi qui l’a. Et Pedro Landjekpo da Silveira en tant que cabécère, donc représentant de Glidji dans le commerce avec les Européens à défaut de plus, a au minimum une autorité équivalente à celle de ses rivaux.
Deux mois se sont écoulés. Rien n’a bougé. La panique s’installe chez les Lawson, du moins chez le jeune Edmund, chargé par son frère aîné de succéder à Alexandre Boèvi. Il entreprend d’écrire directement au Gouverneur Rowe pour lui demander d’intervenir. Ce qu’il ignore c’est que Rowe a les mains liées du fait des instructions du Colonial Office lui intimant de maintenir le statu quo. Le 31 décembre 1881, il rédige un véritable plaidoyer pour appeler le protectorat du drapeau britannique mettant l’accent sur le fait que Petit Popo est au bord de l’implosion, et que la sécurité des biens dans les factoreries et des commerçants européens n’est plus garantie. Celle de personne d’ailleurs. Da Silveira sape son autorité selon ses dires et il ne voit d’autre moyen pour mettre fin à ses agissements que de déclencher un conflit armé. Il souhaite cependant éviter cet extrême dommageable pour tous, une dernière fois il demande à remettre la souveraineté de son pays entre les mains du gouvernement britannique.
Alors que le gouverneur fait remonter le courrier d’Edmund Lawson à sa hiérarchie, l’hypothèse d’une guerre civile destructrice fait mouche à Londres. Le Colonial Office va-t-il enfin se décider à sortir de sa réserve ? Samuel Rowe, quant à lui n’a pas le temps de tergiverser, il décide de jouer discrètement sa propre carte.
One thought on “Un Lawson revendique le trône d’Aného”
Digne d’un podcast toutes ces histoires…
Bravo pour le travail minutieux de recherche! Impressionnant. Et merci de partager tout ça avec nous. J’espère que tu en feras un ouvrage un jour!
Tu as tout pour.