William Lawson: La prudence d’un caméléon, la hardiesse d’un régent.
Lassé des hésitations de l’administration coloniale britannique, Samuel Rowe, le gouverneur de la Gold Coast décide d’intervenir en sous-main dans les affaires d’Aného. Son bras armé sera William Thomas George Lawson.
William Lawson est le fils aîné de Thomas George, chef de la famille installé à Freetown et travaillant pour le compte de l’administration britannique en Sierra Leone. Après avoir obtenu une bourse qui lui permit de faire ses études en Angleterre, il retourne à Freetown en 1867 nanti d’un diplôme d’ingénieur civil. Passionné de mathématiques, il aura exercé en tant que géomètre dans la sous-région, à Freetown d’abord où son chemin a sans doute croisé une première fois le chemin du gouverneur Rowe puis à Lagos et Accra.
Sous le motif d’un ordre de mission totalement obscur de relevé topographique de la région entre Petit Popo et Keta se cache en réalité une initiative du gouverneur pour mettre la main sur Petit Popo qui aiguise les appétits de Paris. Il est doté de moyens disproportionnés par rapport à une simple mission d’ingénieur. A titre d’illustration, Il touche à peu près le salaire d’un officier de la force coloniale britannique.
Arrivé à Petit Popo le 25 août 1883, il dresse un bilan introductif peu reluisant : l’autorité de la famille Lawson s’est littéralement liquéfiée ces dernières années avec un pouvoir militaire au plus bas. C’est à William que les Lawson doivent la véritable naissance de leur dynastie au sens européen du terme. Si jusqu’ici les documents employaient le terme “Chef” ou “Cabécère”, y compris pour les dignitaires de la famille eux-même, c’est dans un courrier du 31 août 1883 adressé au gouverneur Rowe que le terme “roi” apparaît pour la toute première fois sous sa plume. Parlant de l’unification du pays et donc d’une demande unifiée de protectorat, il écrit: “Ceci ne sera possible qu’une fois qu’un roi aura été couronné. C’est le seul moyen de réaliser une union pacifique”.
C’est à William que les Lawson doivent la véritable naissance de leur dynastie au sens européen du terme…C’est dans un courrier du 31 août 1883 adressé au gouverneur Rowe que le terme “roi” apparaît pour la toute première fois sous… Cliquez pour tweeterLe plan semble donc clair pour lui et ce dès le départ, faire couronner un roi et redonner une légitimité au dirigeant de la famille afin de traiter avec les commerçants européens comme interlocuteur unique. Il a même déjà une période déterminée en tête, juste après le nouvel an en pays guin: Epé Ekpé. Il serait allé plus vite dans sa démarche si son arrivée ne coïncidait pas avec le début de la période des interdictions où aucune manifestation n’était autorisée impliquant que le tam tam soit battu ou que des coups de feu soient tirés.
William Lawson profite tout de même de ce temps mort pour poser les premiers jalons de la reprise en main du pouvoir sur Aného. Ce même 31 août, en présence des dignitaires de la famille et leurs alliés, il se fait nommer régent chargé de désigner un successeur à Alexandre Boevi (Lawson II). Il peut paraître curieux que le prochain roi porte le nom de Lawson III si on sait que c’est Edmund, décédé le 09 décembre 1882, qui a succédé à Alexandre. La famille considère son règne en fait comme une régence.
Une autre étape importante du cheminement vers le couronnement se déroule le 04 septembre. Tetteh Agamazon sera présenté aux dignitaires de la ville comme régent de la famille Lawson. A cette occasion, en occultation totale de sa véritable mission et dans une manœuvre d’une extrême malice, il se dira en mission de paix pour mettre fin aux interminables querelles entre les Akagban et les Adjigo. Des voix s’élèvent alors dans l’assemblée pour le prendre au mot et le convier à régler définitivement le conflit ouvert avec ses deux aînés : Pedro da Silveira et Kuadjovi Djiyehoué. Les deux octogénaires ont quasiment le double de son âge. Djiyehoué est l’aputaga (littéralement “chef de plage”, cabécère) pour le camp adjigo, arrière petit-fils de Quam Dessou, le fondateur de la ville d’Aného, et surtout fils de Komlangan, l’aputaga que George Lawson Ier avait repoussé hors de la ville lors du conflit armé des années 1821-1823. Pedro da Silveira s’appuiera sur ses prétentions légitimes pour faire face aux Lawson dans la course au protectorat.
Le surlendemain, après une seconde entrevue avec da Silveira, les deux hommes conviennent que le meilleur moyen de régler le différend et ramener la paix est d’élire un roi juste après le nouvel an en pays guin. Chacun semble avoir alors son agenda caché…
W. Lawson négocie d’une main, avance ses pions de l’autre. Et vite. Dès sa présentation officielle, le régent marque son territoire, il envoie une circulaire aux commerçants étrangers de la ville. Recevront cette notification, entre autre M. Cantaloup, agent de C. Fabre-et-Cie, M. Ayité Ajavon, agent de MM Régis-et-Cie un des commerçants locaux les plus riches de la ville, M. Randad, agent de Wœlber-&-Co (que nous reverrons plus loin dans l’épilogue de cette histoire dans un costume tout neuf) et M. Amerding de la Daacke-&-Co.
"Ayez la bonté d'envoyer cette notification, ou une copie à votre gouvernement". Cliquez pour tweeterLe contenu de la circulaire est simple : marquer les esprits et son territoire. Il rappelle l’objet de sa présence : faire élire un successeur à son oncle Edmund Lawson. Il use d’une vue divergente pour asseoir sa légitimité : »Je vous informe que ce choix a été prononcé selon les usages et qu’il a reçu l’agrément de tous les chefs et notables de la ville, en assemblée réunie au palais le jeudi 4 de ce mois. » C’est la phrase finale qui trahit sa réelle volonté « Ayez la bonté d’envoyer cette notification, ou une copie à votre gouvernement ». Il souhaitait en fait informer les puissances européennes de la présence désormais d’un interlocuteur légitime. da Silveira et Djiyehoue auraient donc prêté allégeance aux Lawson ?
“Nous, Princes, Cabécères et Peuple de Petit-Popo, Dégbénu et Glidji, nous protestons énergiquement contre la façon arbitraire dont veut procéder le sieur W. Lawson pour faire nommer un Roi" Cliquez pour tweeterDans les faits, absolument pas. Et il faut attendre seulement deux jours pour que la riposte se mette en place. Le 7 Septembre 1883, le clan adjigo prend la parole. En vérité, le texte est plus probablement de la main de Joseph Cantaloup. En des termes, on ne peut plus clairs le contre-feu est allumé : “Nous, Princes, Cabécères et Peuple de Petit-Popo, Dégbénu et Glidji, nous protestons énergiquement contre la façon arbitraire dont veut procéder le sieur W. Lawson pour faire nommer un Roi à Petit-Popo en s’instituant dès aujourd’hui Prince Régent”. Suivent un ensemble de vérités cinglantes.
- Ni la famille Lawson, ni Aného n’ont jamais abrité de roi. Le seul souverain dont tous s’accordent à reconnaître l’autorité est celui de Glidji, le roi Awussi.
- La charge assumée par les différents cabécères Lawson n’est en rien une royauté transmise de père en fils comme le prétend Thomas George Lawson depuis Freetown
- Il n’y a pas eu d’unanimité à l’assemblée du 4 septembre comme le prétend le régent
- Il y a déjà des cabécères en place, point n’est besoin d’en nommer d’autre, à part pour le clan Akagban.
- Un appel a déjà été lancé à la France pour un protectorat, les Adjigo ne souhaitent conclure d’accord avec aucune autre puissance.
Voilà qui est dit.
Mais des états d’âme du camp d’en face William Lawson n’en a que faire. Il veut aller vite. Trop vite ? Sans doute.
“[…] Vous n’êtes pas seulement un sujet britannique, mais vous êtes de surcroît un fonctionnaire au service du Gouvernement de la Colonie de Gold Coast.” Cliquez pour tweeterLe commerçant sierra-leonais Cole avait d’ailleurs déjà attiré l’attention du gouverneur sur l’excès de zèle de son envoyé. C’est donc avec un déplaisir certain que Rowe reçoit successivement des missives d’Aného où le régent se contredit, assure tout à tour que la ville est sous son contrôle, puis que Cantaloup ayant conscience de sa légitimité, tente de le déstabiliser en faisant venir un navire de guerre français. Le gouverneur rappelle donc à l’ordre, le fonctionnaire : “[…] Vous n’êtes pas seulement un sujet britannique, mais vous êtes de surcroît un fonctionnaire au service du Gouvernement de la Colonie de Gold Coast.” Et plus loin pour conclure son courrier du 21 septembre 1883 : “Vous avez sans doute déjà rencontré le commandant du HMS Stork, qui vous aura certainement informé de combien je suis soucieux de ce qu’aucune action de votre part ne provoque l’irruption de violences ou de troubles populaires à Petit Popo”.
La réponse parvient trop tard au régent. En effet, le 19 septembre, sûr de son fait, il va mettre le doigt exactement là où Rowe ne veut pas : William va avoir le courage de s’insurger officiellement contre l’appel d’août 1881, ouvrant ainsi la voie à une confrontation inévitable entre Akagban et Adjigo d’une part, et en Europe, entre la Grande Bretagne et la France.