Un roi est couronné à Fantékomé
Dans son ascension irrésistible vers le pouvoir à Aného, William Lawson s’est trouvé un adversaire tout désigné, il s’agit de Joseph Cantaloup, l’homme de toutes les intrigues, agent de la compagnie marseillaise Cyprien-Fabre-et-Cie, et agent consulaire français sur place.
Dans sa lettre de protestation du 19 septembre 1883, il assène non sans une morgue certaine: “Le contrat que vous possédez, vous savez bien qu’il est fait sans notre consentement et, en conséquence, contre notre volonté.”
“Si le cabécère Lawson ne les a pas signés, c’est pour un motif simple, que tout le monde connaît: cet homme était dans un état complet de crétinisme, n’ayant aucune influence”. Cliquez pour tweeterCantaloup ne se laisse pas démonter. Il va même se montrer insultant vis-à-vis d’Alexandre Boevi (qui a fini sa vie dans une réclusion totale due à une santé déclinante) : “Si le cabécère Lawson ne les a pas signés [les documents de la demande de protectorat adjigo, ndlr], c’est pour un motif simple, que tout le monde connaît: cet homme était dans un état complet de crétinisme, n’ayant aucune influence”.
Les lettres suivantes de W. Lawson à Cantaloup resteront sans réponse. L’agent français se plaît même à les renvoyer à leur expéditeur, ce qui le contrarie grandement. Il n’a d’autre option que de transmettre sa correspondance aux autres commerçants européens pour le compte de leurs représentations diplomatiques en Sierra Leone. Sans aucun effet.
Les préparatifs pour le couronnement avancent tout de même. Le 28 Septembre, les membres les plus influents de la famille réunissent plus de 400 dollars américains de l’époque pour la tenue de la cérémonie. Parmi les plus généreux contributeurs, on notera Albert Adjetegan Wilson et Robert Gomez que nous retrouverons quelques mois plus tard lors du débarquement des Allemands.
En parallèle, les tractations se poursuivent sur le choix du prochain souverain. Et le clan adjigo est associé à cette décision. Jusqu’au bout, Kuadjovi Djiyehoué défendra l’idée que le successeur du George Akouété Zankli Lawson Ier doit être choisi collégialement par les chefs de tous les quartiers de la ville.
“Nous avons demandé une couronne afin de couronner notre Roi comme un Roi anglais”. William Lawson Cliquez pour tweeterFinalement le 13 octobre 1883, c’est Daniel Cummings Laté T. B. Lawson qui sera choisi pour accéder au trône. Ce n’est pas le choix du hasard. Daniel est le fils de Richard Cummings Laté Betum, celui des fils de Zankli qui n’a pas accédé au statut de cabécère parce que décédé en 1872. Il présente tous les avantages recherchés par le régent, son cousin germain, il est descendant en ligne directe de l’ancêtre de la famille, Laté Awokou, il est lettré (son expression anglaise est reconnue parfaite), il est jeune (environ 25 ans à ce moment-là) et donc facilement malléable. En effet, comme l’écrit W. Lawson à Rowe un mois plus tôt, il n’a pas l’intention d’arrêter sa mission au couronnement du roi.
Le 19 octobre, Daniel Lawson sera proclamé roi et couronné finalement après Epé Ekpé, le 27 octobre 1883 sous le nom de Lawson III. A cette occasion, le régent veut faire les choses en grand : “Nous avons demandé une couronne afin de couronner notre Roi comme un Roi anglais”.
Le lieu du couronnement est Fantékomé. Et là également la symbolique est voulue forte. Fantékomé, en effet, est en quelque sorte le “nombril” des Lawson. Géographiquement, l’endroit est constitué par l’espace entre l’ancienne gare ferroviaire d’Aného et Badji (où se trouve Lolanmé). Connu anciennement sous le nom d’Adanliakpo, cet endroit a été offert par le roi de Glidji Assiongbon Dandje à ses filles Tchotcho et Adakou. Cette dernière est la mère de Latévi Awokou, l’ancêtre des Lawson. Au de ses voyages avec les marins anglais, il s’y installa en 1753 et y fit venir ensuite sa mère, sa tante et le reste de la famille.
Pour ce coup politique majeur, le régent espère la venue de S. Rowe. Il l’invitera à plusieurs reprises. Finalement, le gouverneur n’assistera pas au couronnement, retenu à Accra par la guerre qui menace à nouveau en pays ashanti. Afin de poursuivre au mieux sa mission, William se fait nommer tout de même Premier Ministre par le roi. Le terme exact en anglais est Principal Minister. A partir de cette position, il va tenter de reconquérir pas à pas l’influence perdue de sa famille.
Pour le compte et au nom du roi, W. Lawson va mettre en place les instruments qui vont consolider la légitimité de la famille quant à ses prétentions sur les affaires de la ville. En fait, la première disposition, qui peut sembler anodine, date d’avant le couronnement. Le régent a nommé Robert Gomez, maître de poste le 19 septembre et désigné la résidence de feu son oncle Edmund Lawson comme nouveau bureau de poste. La poste d’Aného se trouve encore précisément à cet endroit aujourd’hui au lieu dit Agbodji. Le second coup de semonce arrive exactement deux mois plus tard, le 19 novembre dans la Circulaire N°11, sans doute la plus célèbre et la plus polémique de toutes.
Trois dispositions sont prises :
- M. Julius de Souza Lawson est nommé collecteur des douanes
- le roi ordonne la création de nouveaux registres où tous les comptes doivent être désormais transcris
- Le roi ordonne l’établissement et la collecte des droits de façon trimestrielle.
Sans y toucher directement, c’est une véritable déclaration de guerre contre l’aputaga adjigo Kuadjovi Djiyehoué qui est normalement le préposé à ces fonctions. Il y a une volonté claire de couper l’herbe sous le pied des rivaux.
Ainsi va débuter la terrible crise sur fond d’enjeux économiques et financiers énormes que nous allons voir dans la suite.